Le patrimoine pastoral, pour quoi faire ?

juin 2015

Berger, un métier authentiquement contemporain…

La Maison du berger est un centre d’interprétation qui, depuis 2007, mène des actions en faveur de la reconnaissance et de la valorisation des cultures pastorales alpines. Loin de toute tentation passéiste et folklorisante, son statut de centre d’interprétation l’invite à travailler au présent le plus vif des métiers du pastoralisme.

A rebours des idées reçues qui, pour la plupart d’entre nous, font du berger une sorte d’icône du passé, la Maison du berger participe à la transmission d’un métier qui ne n’est jamais perdu et qui a muté – au fil de 7000 ans d’histoire dans les Alpes – au gré des contraintes qui lui ont été imposées par le climat, la disponibilité de la ressource fourragère, les diverses règlementations, les vicissitudes économiques, etc.

Ces mutations sont issues de processus d’innovation qui caractérisent ce qu’on appelle – sans trop savoir ce que cela veut dire précisément – la « tradition ».

Interpréter le métier de berger dans les Alpes, c’est donner à comprendre que la tradition pastorale est constituée de deux faits essentiels à sa pérennité :

– une culture de la mobilité (remue, transhumance)

– une mobilité de sa culture qui génère cette capacité à innover, à muter, à se décaler culturellement et techniquement pour perdurer en faisant face à des situations nouvelles imposées par le milieu social et écologique.

Pastoralisme alpin, mobilité culturelle et processus d’innovation

Cette mobilité de la culture pastorale est l’essence même de l’immatérialité de son patrimoine. Elle est constituée de savoirs et savoir-faire issus de la relation Homme-Animal-Territoire – cette « technologie invisible » * des bergers – qui se transmettent de génération en génération et qui contribuent à générer un sentiment d’identité et de continuité chez les éleveurs et bergers provençaux et alpins liés par une culture professionnelle commune.

L’existence de cette mobilité culturelle et de sa capacité à innover dépend de la dynamique du tissu socio-professionnel pastoral. Le patrimoine culturel pastoral ne pourra en effet continuer à être une ressource pour les territoires provençaux et alpins qu’à la condition qu’il soit, non pas conservé comme un souvenir nostalgique, mais comme une activité vivante et pérenne, perçue comme telle par ses acteurs directs et les populations non pastorales. Or, aujourd’hui ce fait ne va pas de soi.

L’action de la Maison du berger, en tant que centre d’interprétation, est d’effectuer une veille sur les cultures pastorales alpines, en assurant notamment le lien entre acteurs du pastoralisme et société globale. Interpréter un métier, c’est étudier, comprendre et révéler ce qu’il a de vif (au moyen d’enquêtes de terrain, d’expositions, de publications, d’actions de médiation culturelle et de pédagogie).

Patrimonialiser le pastoralisme, c’est d’abord soutenir l’innovation culturelle et la transmission des savoir-faire pastoraux

Mais révéler ces processus d’innovation et de transmission des savoirs ne suffit pas, il faut aussi les soutenir. C’est pour cette raison que nous avons développé une action en direction de l’emploi à destination des bergers salariés et des éleveurs employeurs. La Maison du berger anime un blog emploi berger ** qui consiste en un accueil téléphonique permanent, une écoute, la publication d’annonces emploi, du conseil (points juridiques, protection sociale, contrats, aides) et des pages « emploi / métier » sur le site internet de la Maison du berger.

Cette « mission emploi » assumée par l’équipe de la Maison du berger s’inscrit dans une logique de conservation pragmatique et responsable du patrimoine en travaillant sur l’égalité de l’accès à l’information professionnelle, la précarité des salariés, les effets de saisonnalité, la pluri-activité, la solidarité.

Le métier de berger est précaire par essence. Le tissu socio-professionnel du pastoralisme est fragile. Prendre soin d’un patrimoine, c’est d’abord contribuer à sa durabilité et favoriser les conditions de sa transmission.

Acteurs essentiels de l’économie alpestre et de la dynamique paysagère des vallées alpines, éleveurs et bergers contribuent fortement à façonner les paysages et les produits que nous aimons. Loin de tout folklore, ces hommes et ces femmes, d’origine rurale ou urbaine ***, assument un rôle essentiel dans la dynamique patrimoniale et culturelle des territoires alpins et provençaux. « Tant qu’il y aura des bergers, le monde n’aura pas tout à fait basculé » (Pierre Mélet, berger, assistant-berger, fondateur de la Frérie des bergers alpins et de la Maison du berger).

*L’expression est de l’anthropologue Georges Ravis-Giordani

**http://emploiberger.blogspot.fr (géré en partenariat avec la Chambre d’agriculture des Hautes-Alpes et le service technique Cerpam).

***Aujourd’hui, la plupart des bergères et bergers sont originaires du monde urbain (voir Caraguel et al., 2010, Un berger, des bergères. Nouveaux enjeux d’un métier en mutation, Edition Maison du berger, Fédération des alpages de l’Isère, Cardère éditeur).